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Covid-19 : de la crise de communication au déni de la crise en République Démocratique du Congo

Marche contre le vaccin Covid-19. Place de l’indépendance, Bukavu, 18 avril 2020 | © Patient Polepole/Angaza Institute

Le covid-19 est une maladie dangereuse. Mais la communication au sujet du covid-19 peut être plus dangereuse si elle n’est pas cohérente. D’une part, une communication dramatique peut inutilement entraîner ou aggraver la psychose et un stress généralisé. D’autre part, une communication tâtonnante est susceptible de créer un impact négatif sur l’acceptation de la maladie et sa dangerosité ; elle peut décrédibiliser les gouvernants ; et semer le doute en la capacité des équipes de riposte à contenir la pandémie. Le cas du Sud-Kivu (et la République Démocratique du Congo en général) est illustratif. La stratégie de communication utilisée par les acteurs publics en cette période de la pandémie de Covid-19 permet de soutenir qu’une approche politique approximative en temps de crise peut être plus dangereuse que la pandémie elle-même. Dans le cas de la RDC et du Sud Kivu, les « erreurs » dans la communication officielle ont entraîné l’émergence de trois types de crise : (1) le déni de la catastrophe, (2) une crise de confiance vis-à-vis de l’équipe de riposte et (3) le relâchement massif des mesures de protection.

Premièrement, en mars 2020, la communication officielle via les autorités publiques s’est caractérisée par des fausses notes dans les annonces, des nombreuses sorties médiatiques aux allures non concertées voire contradictoires d’une échelle de communication à une autre. Ceci donnait parfois l’impression d’une guerre de positionnement entre responsables politiques. Pour s’en convaincre, l’on constate que dès les premières annonces, il s’est observé à deux reprises une tergiversation du Ministre congolais de la santé sur l’identité du patient zéro. Le 03 avril 2020, le bulletin épidémiologique du secrétariat technique de riposte à la pandémie de covid-19 annonça un 3e nouveau cas au Sud-Kivu. Cependant, dans son point presse du 6 Avril 2020, le Gouverneur de province du Sud-Kivu démenti l’existence d’un troisième cas dans sa province. Il précisé plutôt qu’il s’agissait de l’un de deux anciens cas testés deux fois par erreur. La contradiction persista entre les deux instances. Le 8 avril 2020, dans un autre point de presse, le gouverneur désavoua la légitimité communicationnelle du secrétariat technique national au niveau provincial. Pourtant, l’Institut National de Recherche Biomédicale (INRB) est le seul laboratoire accrédité pour le dépistage du Covd-19 sur l’échiquier national.

«… Je vous [medias] demande de vous fier aux informations du Gouvernement provincial. C’est nous qui envoyons les prélèvements à Kinshasa… Evitez de publier de fausses informations. Avant d’exploiter le bulletin de l’INRB [Institut National de Recherche Biomédicale], il faut d’abord se référer au Gouverneur de province ou au Ministre provincial de la Santé. C’est moi qui dois communiquer sur cette maladie dans le Sud-Kivu ou mes services… »

déclara le gouverneur.

Ces dérapages communicationnels ont fait objet de nombreuses critiques au sein du grand public et de l’élite. Une partie de la classe politique congolaise, l’opinion publique et les réseaux sociaux sont allés jusqu’à parler d’un affairisme de la crise par les acteurs publics. Cette opinion qui s’est généralisée soutenait que la crise du Covid-19 était devenue non pas une menace comme telle mais une opportunité d’accumulation, d’affaires, mieux d’accès aux ressources financières provenant de l’aide internationale. Dans les réseaux sociaux, le ministre de la santé a été taxé de vouloir glaner les millions qui seraient promis par l’OMS à tout pays atteint de covid-19. Certaines personnes ont même parlé d’une occasion offerte au gouvernement pour justifier des détournements des fonds publics au nom de la riposte. Les acteurs politiques ont été à la première loge des diatribes.


 twitta la sénatrice Eve Bazaiba quelques instants après l’annonce du ministre de la santé. C’est comme ça que s’est tout de suite développé dans l’opinion publique un sentiment de déni de l’existence des cas de COVID-19 sur le territoire congolais.

Deuxièmement, communiquer sur le covid-19 ou toute autre pandémie nécessite une analyse préalable des enjeux politiques, sociaux et stratégiques auxquels peut faire penser le message dans l’opinion.  Une communication hâtive est susceptible de décrédibiliser les communicateurs, susciter des violences, du relativisme et mettre en péril même les efforts de recherche des solutions à la crise. Les sorties médiatiques du Dr Muyembe en RDC sont interpellant à ce sujet. En effet, pendant que le nombre des cas positifs était en plein envol, avec un taux de létalité dépassant les 10% (148 cas dont 16 décès en espace de trois semaines), des débats très controversés sur le vaccin contre le coronavirus inondaient les médias internationaux. Des voix se levaient pour contester l’expérimentation des vaccins sur les humains en général et surtout sur les Africains en particulier. Dans cette atmosphère déjà sensible, le Dr Muyembe fit une annonce surprenante dans une conférence de presse tenue le 03 avril 2020.

« Vers les mois de juillet-août, nous pourrons commencer déjà à avoir des essais cliniques de ces vaccins…Nous (RDC) avons aussi été choisis pour faire ces essais. Donc le vaccin sera produit soit au Canada, soit  aux États-Unis, soit en Chine. Nous, nous sommes candidats pour faire les essais ici chez nous ».

Du citoyen lambda, en passant par des mouvements citoyens, jusqu’à de hautes personnalités publiques, les voix se sont levées pour dénoncer ce discours. Non seulement, le médecin a été taxé d’être nostalgique d’un passé et d’une mentalité coloniale, d’être utilisé pour exterminer ses compatriotes par des vaccins dont ignore encore les conséquences immédiates et à long terme.  Des messages du type « les congolais et les africains ne sont pas des cobayes de laboratoire », « mon corps n’appartient pas à Muyembe », « qu’il teste ces vaccins sur les membres de sa famille », « les députés, sénateurs et membres du gouvernement sont déjà un échantillon suffisant, qu’on expérimente ces vaccins sur eux », ont colonisé l’espace médiatique et les réseaux sociaux. Face à la tournure qu’ont pris les critiques, le coordinateur s’est vu obligé de se rétracter dans une vidéo postée dans les réseaux sociaux :

« Mon intention en parlant de vaccins covid-19, n’était pas d’affirmer que nous allons commencer la vaccination en RDC sans qu’il soit testé auparavant en Amérique et ailleurs. Par ailleurs nous savons toujours que les vaccins… que nous utilisons aujourd’hui ont été d’abord testés en Belgique, en France et aux États-Unis avant d’être introduits ici chez nous en Afrique… Je suis moi-même congolais et je ne permettrais jamais d’utiliser les congolais comme cobayes… ».

Par cette nouvelle communication, ce virologue de renommé disait vouloir rassurer les africains et les congolais.

Cette crise communicationnelle illustrée au niveau de l’équipe technique de la riposte a renforcé le scepticisme chez nombreux congolais et une baisse fulgurante de la confiance en la personne du Professeur Muyembe, malgré le crédit que lui ont valu ses travaux et son engagement sur le virus à Ebola. Beaucoup ont critiqué Muyembe de verser dans la politisation de la pandémie au lieu de rester dans la démarche strictement technico-médicale. La communication de Muyembe a suscité des mécontentements au-delà des frontières de la RDC dans moins de 24 heures suivant son adresse. Globalement, dire que la RDC était candidate au vaccin expérimental contre le covid-19 était inacceptable, les congolais et les africains dans leur majorité étant opposés à l’idée d’en faire des cobayes des laboratoires. Muyembe a été taxé d’être à la solde des firmes pharmaceutiques canadiennes, américaines et européennes pour exposer ses propres compatriotes au danger. Tout ça, suite à une défaillance communicationnelle.

Troisièmement, une communication hâtive et non stratégique sur l’évolution de la pandémie peut entrainer un relâchement des mesures de protection et de prévention au sein de la communauté. La ville de Bukavu en aura fait l’expérience. Par exemple, le 28 avril 2020, le gouverneur de province du Sud-Kivu annonce la guérison du troisième et dernier cas positif. Pour la population, le covid-19 venait d’être officiellement déclaré vaincu. Il fallait dès lors reprendre la vie normale. C’est ainsi qu’on a observé un relâchement des mesures barrières y compris au sein même de la police qui est sensée faire respecter ces mesures. On observe de plus en plus le non-respect des mesures de la distanciation sociale dans des transports en commun, dans des cérémonies socio-culturelles surtout le deuil et dans les marchés. Le port des masques en public se fait aussi rare ou reste fantaisiste. Ceci malgré l’endurcissement de la règlementation sur le payement des contraventions. Par ailleurs, le non-respect par le pouvoir public des décisions et mesures prises a, à plusieurs occasions, donné un mauvais signal à la population et renforcé la méfiance et le déni de la crise. Par exemple, on sait que les vols entre Kinshasa et les provinces étaient suspendus, Kinshasa étant l’épicentre de la maladie. Pourtant, le 04 avril 2020, le gouvernement a envoyé dans un même avion une délégation d’environ 80 officiels à Lubumbashi pour enquêter sur l’incursion des Bakata-Katanga. Dans la deuxième quinzaine du mois d’avril 2020, une autre délégation a été envoyée de Kinshasa à Uvira en passant par Bukavu pour remettre un don de la présidence et compatir avec la population victime des eaux de pluie.  Au Sud Kivu, la population avait contesté l’arrivée de cette délégation sur fond de prévention contre le coronavirus :

« Nous venons d’apprendre qu’une délégation de Kinshasa se rendra au Sud-Kivu pour compatir avec les victimes des catastrophes à Uvira. La Société civile exige à la délégation de rester à Kinshasa. Le Sud-Kivu n’a que trois cas et qui seront déclarés guéris dans peu de temps. On n’a donc pas besoin d’en ajouter d’autres cas importés. Nous demandons aux membres qui composent cette délégation d’envoyer l’enveloppe, si possible, au gouvernement provincial ou à la Mairie d’Uvira pour soulager la misère de nos compatriotes en souffrance. Nous devons tous respecter les mesures du Chef de l’État qui interdisent les déplacements de la capitale vers les provinces, les sorties inutiles, les contacts avec des personnes suspecte »

avait déclaré le Président de la Société civile urbaine de Bukavu.

Alors que la population sud-kivutienne s’était fortement opposée, le gouvernement avait quand même réussi à forcer l’arrivée de cette délégation à Uvira. Ces deux exemples ajoutés à plusieurs autres ont complètement accru le déni et la méfiance vis-à-vis des autorités taxées de ne pas prêcher par l’exemple.

La communication officielle en période de la pandémie de Covid-19 en RDC s’est essentiellement résumée à donner le plus grand nombre possible de points de presse. Ces derniers ont eu comme effet la surinfection de la crise et une dégradation de la confiance vis-à-vis de l’équipe technique de la riposte et dans une certaine mesure, des autorités publiques. Pourtant cette confiance est indispensable en cette période de pandémie dont l’éradication dépend des efforts collectifs. Le rôle des communicants en période de crise sanitaire est d’informer pour rassurer et encourager le respect des règles sanitaires afin de mieux accompagner la riposte. En accord avec Fougerat (2019) nous soutenons que la communication officielle en période de pandémie de covid-19 requiert la préparation et pas l’improvisation, la réactivité et le professionnalisme. La réactivité ne doit pas être confondue avec la précipitation ni la rapidité. En cette période de riposte contre le covid-19, se faire accompagner par des personnes expérimentées en communication est une opportunité que les autorités politiques peuvent saisir.

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