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Un Gouvernement de « combats » d’espoir en RDC ? Cap 2023 entre survie électoraliste et fragilisation politique

Gouvernement Sama Lukonde | Source: Cellcom Primature RDC avril 2021

Introduction

Après près de « deux ans d’efforts inlassables, de patience et d’abnégation pour préserver l’essentiel au sein de la coalition » en décembre 2020, le Président Félix-Antoine Tshisekedi a annoncé la fin de la coalition FCC-CACH (Front Commun pour le Congo – Cap pour le Changement) – une coalition issue de l’accord entre ce denier et son prédécesseur Joseph Kabila. Il a dans la foulée annoncé la constitution d’une nouvelle majorité parlementaire au nom de « l’Union Sacrée de la Nation». Il a fallu quatorze semaines de consultations et négociations politiques pour aboutir au premier gouvernement de cette nouvelle majorité rendu public dans l’après-midi du 12 avril 2021. Cette longue période sans gouvernement n’a fait qu’accumuler les problèmes et défis sociétaux qui étaient déjà alarmants à la prise de fonction du Président Tshisekedi. C’est ainsi que l’attente de ce gouvernement a été vécue d’interminable pour des millions de congolais qui au quotidien font face aux crises multiformes et une gouvernance publique sinistre. L’impatience d’acteurs politiques et de la société civile a été aussi immense. Dans ce papier, il est analysé trois éléments essentiels : de l’annonce à la publication du gouvernement Sama (1) ; la survie de l’administration Tshisekedi (2) et l’avenir de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) allié de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) au sein du CACH (2) à l’horizon 2023.

1.   De l’annonce à la publication du gouvernement Sama

Entre enchères du poids politique et diplomatique la loi du marché politique (Kaldor & Waal 2021) a prévalue sur la volonté de réduire le train de vie des institutions publiques budgétivores et l’urgence de la sécurisation de l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC). En effet, peu avant la publication de son gouvernement, le Premier Ministre Sama Lukonde a annoncé un gouvernement de taille réduite par rapport au précédent et prenant en compte la participation féminine, de la jeunesse et essentiellement constitué des nouvelles figures en guise de renouvellement de la classe politique. Il a également indiqué les secteurs prioritaires pour son gouvernement. Au moment où la cohésion nationale bat de l’aile, cette dernière est probablement la plus grande absente des priorités gouvernementales de l’administration Sama.

« Publication du gouvernement de l’Union Sacrée de la Nation. Représentativité féminine: 27% ; Moyenne d’âge: 47 ans ; Nouvelle figures: 80% ;  Les priorités: Sécurité, Santé, Enseignement, Justice, Agriculture, Pêche & Élevage, Economie, Processus électoral, Infrastructure, Numérique » twitta Sama Lukonde

S’agissant du critère de représentativité nationale et l’inclusivité des forces politiques les choix des décideurs politiques et notables régionaux – surtout pour ce qui est de la taille du gouvernement  –  ne mettent pas tout le monde d’accord. Ces derniers n’ont-ils pas été capables de se mettre d’accord dans leurs désaccords, malgré l’urgence et la nécessité pour la nation congolaise d’avoir un gouvernement représentatif et le moins budgétivore possible ?

« Il sied de noter que ce gouvernement de « combat » a pour mission d’appliquer la vision du Chef de l’État, Félix-Antoine Tshisekedi, essentiellement axée sur l’amélioration des conditions de vie des congolais et l’instauration d’un climat de paix sur toute l’étendue du territoire national » souligne la présidence de la république dans un tread de tweet peu après la publication du gouvernement Sama Lukonde. Deux mois après la nomination de ce dernier en qualité de Premier Ministre, il se dégage qu’il a été question de peindre le tableau de la reconfiguration des forces politiques post-FCC-CACH et de satisfaire dans la mesure du possible les nouveaux coalisés que de baisser le train de vie des institutions pour la nation.

« c’est ça  le problème !  Au finish il n’y aura rien pour le peuple. Par rapport à la situation financière du pays et par rapport aux attributions des ministères, on pouvait facilement avoir 20 ministères…. » souligne une internaute dans la suite du tweet de la présidence.

2.   La survie de l’administration Tshisekedi

« Entre l’ordre et le chaos » comme l’a indiqué le député Lubaya Claudel André (Tweet du 12 juin 2020), a-t-on fait le choix d’embarquer tout le monde dans le bateau du chao pour minimiser la rivalité en élargissant la sphère de responsabilité du bilan du président Tshisekedi aux élections générales de 2023 ? L’entrée au gouvernement d’acteurs et partis radicalement opposés à l’élection et aux deux premières années l’administration Tshisekedi nous en dit long. Du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba à l’Ensemble pour la République de Moïse Katumbi, en passant par le CACH et la société civile, désormais tout le monde est à bord du navire. Le cas d’Eve Bazaiba – figure de proue de l’opposition radicale à Tshisekedi [MLC et Lamuka] est plus illustratif. Pendant qu’elle vient d’être nommée vice-premier ministre en charge de l’environnement, des vidéos d’elle martela qu’elle ne peut jamais se rallier à la gouvernance Tshisekedi refont surface dans des réseaux sociaux.

« On ne peut pas s’unir dans la corruption et l’iniquité. Un Président conçu dans la corruption conduit le pays à la ruine… ce pouvoir qui vient de lui être octroyé est un cadeau empoisonné. On [FCC] lui a montré les résultats [de présidentielles 2018] on lui a dit tu as reçu 15%, même Shadari [candidat FCC] vous a dépassé, on vous met là pour que vous garantissiez notre continuité. Il a accepté. C’est comme ça que vous entendez le jeunes scander que Felix a vendu le pays pour lui-seul… Nous ne pouvons pas participer à ce pouvoir… Le MLC veut des élections, de vrais élections » mentionna Eve Bazaiba dans son interview au siège de son parti peu après la publication des résultats de présidentielles de 2018

On dira qu’elle n’a pas fait exception à la règle selon laquelle « la politique est dynamique ». Le dynamisme dont il est question ici est une formule courtoise pour indiquer que la constance – tout comme le respect de la parole donnée – d’un acteur politique congolais n’est pas toujours garantie.

De coalition en coalition, dans une perspective de la pérennisation de l’accord de Nairobi, que deviennent les alliés de proue d’hier au sein du CACH ? Certainement que l’accession du Président Tshisekedi à la magistrature suprême a plus été conçue et appuyée stratégiquement, financièrement, matériellement et techniquement par l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) et alliés sous le leadership de Vital Kamerhe – que quiconque des anciens-nouveaux alliés. Au début du périple de Nairobi, même au sein de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) – parti du Président Tshisekedi, celui-ci ne faisait pas l’unanimité après son départ de l’accord de Genève. Certains députés ont même claqué la porte  du parti à la veille des élections. En effet, dans sa lettre de démission de novembre 2018, alors candidat député national dans la circonscription électorale de Bukavu, Aganze Cibembe Juste mentionna : « Un président de la République doit faire preuve d’un sens élevé de maturité, d’intégrité et d’honneur, et ceci manque cruellement au leader du parti et aux forces qui contrôlent ce parti, car demain il sera contraint de vivre dans un environnement intensif à décisions très complexes. Imagine l’effet sur l’avenir du pays d’un homme d’Etat qui viole facilement ses engagements solennels ».

3.   L’avenir de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) à l’horizon 2023

L’UNC est l’un des rares partis politiques effectivement implantés sur l’échiquier national. Les destins du CACH et de l’UNC sont-ils intimement liés ? Le divorce de la coalition FCC-CASH est définitivement consommée. Entretemps, au sein de l’opinion publique le discours sur le devenir du CASH n’a cessé d’évoluer au fils du temps depuis la mise en accusation et l’emprisonnement de Vital Kamerhe. Le CACH se fragilise, le CACH se divise, CACH agonise telle est la subsistance des communications politiques et médiatiques depuis plus d’un an. Pour rappel cet emprisonnement découle d’un procès spectaculaire dit de « 100 jours » et dont la procédure a été mitigée pour plusieurs connaisseurs du droit pénal congolais. Entre clashs et moqueries dans les réseaux sociaux et débats politiques télé et/ou radiodiffusés, la relation réelle entre Kamerhe et Tshisekedi reste un mystère infranchissable pour plusieurs partisans de deux camps composant le CACH pour leur ex-allié commun le FCC et leur opposant ex-opposant commun Lamuka. Le cabinet du président de la république qu’a chapoté Vital Kamerhe pendant près de deux ans en est sorti profondément éclaté. Toutefois, aujourd’hui, l’opinion publique congolaise, même chez les plus grands détracteurs de Kamerhe, tout le monde est d’accord sur le côté politique de ce procès. Et ce dernier ne serait qu’une machination des opposants politiques de Kamerhe pour nuire à son image ainsi que fragiliser son parti l’UNC. C’est aussi le cas chez certains haut placés à la présidence dans le camp UDPS (devenue hostile à son ancien allié de proue) n’ont pas caché leur soutien indéfectible à Kamerhe presqu’une année après son incarcération et la succession des révélations tendant à l’innocenter.

« Cher monsieur j’assume mes actes et je réitère mon soutien indéfectible à VK [pseudonyme de Vital Kamerhe] dont j’estime n’avoir pas été convaincu par la preuve et les évidences des charges reprises contre lui.  C’est ça la démocratie. » twitta Vidiye Tshimanga

« Pour certains on a plus de peur que de mal ! J’aimerais le dire autant pour l’UNC » mentionna un partisan de l’UNC, après la publication du nouveau gouvernement. En effet, ce parti dont l’idéologie est Socio-démocrate a la réputation légendaire d’être un parti national, organisé et discipliné autour de la vision républicaine de son leader Vital Kemerhe. Sa doctrine est basée sur les valeurs de l’égalité, de la liberté, de la justice, de la solidarité, du travail productif, de la tolérance, du droit à la différence et du mérite. Formellement, il n’y a rien à craindre. Mais comment la sortie du gouvernement, a-t-elle marquée cette réputation légendaire et les positionalités d’acteurs au sein du parti ? De cette publication du gouvernement de l’Union Sacrée de la Nation sortent deux notes sur l’avenir de l’UNC : Une note positive et une autre négative.

La note positive est que la grandeur des cornes a été proportionnée à celle de la tête comme dirait la sagesse de Mboloko [la gazelle]. En effet, départ la publication du gouvernent de la nouvelle coalition, l’accord de Nairobi est toujours au rendez-vous. L’UNC – pour ne pas dire Vita Kamerhe – a été consulté comme un partenaire privilégié. Et son rôle dans les enjeux de l’heure n’est pas aussi sombre comme nombreux pourraient le croire. Son statut d’acteur majeur dans la création du CACH et l’accession de Tshisekedi à la présidence et l’administration de la République Démocratique du Congo (RDC) ne porte aucun doute. Et donc, le Président Tshisekedi compte avec l’UNC pour la suite de son mandat et la fin du CACH n’est pas pour aujourd’hui.

Quant à la note négative, la plupart des ministres nommés au compte de l’UNC sont de l’est et plus particulièrement du Sud-Kivu. Ce qui conduirait à une lecture sectaire, régionale et tribalo-centrée de ce choix. Certainement que c’est en raison de leur savoir, savoir-faire et savoir-être qu’ils sont nommés. Toutefois, n’y a-t-il pas de technocrates plus méritants au sein du parti au-delà les nouveaux nominés ? Bien que guidée par la raison et les défis de l’heure, cette nomination apporter de l’eau au moulin des réfractaires de l’UNC et de Vital Kamerhe. On l’a vu pendant le procès de 100 jours, la partie civile – les juges y compris – s’attelait exclusivement sur la région et le territoire d’origines des proches de Kamerhe impliqués en tant qu’experts au sein du dit programme. Ce qui visiblement n’a pas été le cas pour les autres superviseurs du dit programme et autres témoins ayant comparu et n’étant pas de la même région que ce dernier. Il aurait été plus aisé et rationnel que la cour questionne leur expertise que leur appartenance tribale. Du point de vue de la réflexion politique stratégique ce choix a remis en cause le principe de participation et d’inclusion d’acteurs (van den Berg 2013). Ce manquement réduirait l’UNC en un parti régional et tribalo-centré. Ce qui n’est pas un bon calcul politique stratégique. En effet, la publication du gouvernement USN vient de créer des frustrations au sein de ce parti politique. Déjà des voix se lèvent au sein des haut-cadres et alliés du parti pour fustiger ce choix. Un député national de l’UNC, élu du Nord Kivu, dans un tweet commentant le tweet du secrétaire particulier du Président national de l’UNC félicitant les ministres nommés, n’a pas hésité à exprimer son mécontentement.

« Madame Katy n’a jamais été de l’UNC. Elle est de la société civile de Butembo. Aujourd’hui ministre  au compte de l’UNC ?  C’est une humiliation aux combattants UNC Nord Kivu, Ituri, Tshopo, Haut Uele et Bas Uele » twitta Mbindule Mitono Crispin – député national UNC. Tweet qu’il a supprimé dans la foulée.

Par contre les alliés de l’UNC ne décolèrent pas face à ce qu’ils considèrent comme un manque de considération.

« Le président Félix est correct. Très correct, il donne 4 postes à l’UNC ! Mais l’UNC ne donne rien aux alliés emblématiques qui ont participé à la victoire du CACH et de Félix : Kudura Kasongo, Danny Muana Nteba, Paty Katanga, Mwenze Kongolo oubliés pour une seconde fois ! » martelle Kudura Kasongo sur son compte tweet. Pendant que Daniel Muana Nteba prend note du manque de considération en ces termes : « Pas jusque-là quand même ! Il ne s’agit pas de postes mais d’un minimum de considération! Mais à la moindre revendication ça devient « quel est votre poids politique »… Bien noté vraiment… ».

Conclusion

En conclusion, le combat de ce gouvernement au-delà d’être économique ou pour le bien-être de près de 100 millions des congolais, il est aussi culturel, sécuritaire et politique. Sur le plan sécuritaire, la cohésion nationale va mal ! Le niveau de la violence interethnique est de plus en plus manifeste de l’Ouest à l’Est en passant par le centre. Au-delà de cette forme d’insécurité « culturelle », la sécurité humaine de la région orientale du pays a atteint le niveau le plus élevé de violence de la période d’après guerres. Sur le plan politique, les anciens alliés ont un accord d’alternance de pouvoir qui reste en vigueur. Et c’est là que se jouerait la mise en liberté et l’inculpation de celui que tous ses concitoyens – du moins la majorité – croient aujourd’hui être innocent et prisonnier politique. Le combat est aussi politique aussitôt que tous les caciques transfuges du FCC ne se sentiront pas casés dans la nouvelle administration, la déstabilisation politique des institutions de la république – dont ils ont prouvé assez d’habileté à fomenter – sera toujours au rendez-vous. Du point de vue stratégique, pour plusieurs hauts-cadres des partis/regroupements politiques effectivement implantés sur l’étendue du territoire national les heureux nominés au sein du gouvernement Sama ne reflètent par la représentation nationale de ses membres et/ou alliés, même au sein du parti présidentiel.

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Publiée le : 13 avril 2021