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Re-inventer l’Etat congolais : un préalable au débat sur les réformes électorales

Des agents électoraux et des témoins des candidats dans un bureau de vote. Commune de Bandalungwa, Kinshasa, le 28/11/2011. ©John Bompengo/Radio Okapi.

L’expression de Bertrand Badie et de Pierre Birnbaum selon laquelle l’Etat en Afrique est un « pur produit d’importation » est devenue désormais classique. Certains y voient même une « universalisation manquée » du modèle weberien de l’Etat. Depuis son accession à l’indépendance (1960), la République démocratique du Congo fait face à des crises politiques violentes et récurrentes sur fond de crise de légitimité et de contrôle des vastes ressources qu’elle regorge. La création de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dans le cadre de la 3ème République en RDC fait de cet organe une institution d’appui à la démocratie. Le système électoral mis en place dans cette 3ème République, calqué sur des modèles occidentaux, relève du même syncrétisme et mimétisme qu’est l’institution de l’Etat en RDC. A ce point nommé où le rêve ou le désir de l’Etat de droit est pris par d’aucuns pour un fait accompli sans questionner les pratiques des « acteurs », la question de la re-invention de l’Etat présente tout son intérêt. Cette opinion est une réponse interrogative, un dialogue avec Joël Baraka Akilimali à la suite de la publication de son opinion sur les réformes électorales en RDC et la nécessité de la suppression de la CENI ainsi que le renforcement de la territoriale et la justice, institutions publiques permanentes. De notre part, nous estimons que cette démarche ne peut être envisageable que dans le cadre d’un Etat. Pourtant, en ce moment, l’Etat congolais n’existe plus. Il mérite d’être re-inventé. Cette re-invention de l’Etat est un préalable à tout débat sur les reformes électorales et de manière générale sur l’organisation politique, sociale, économique et culturelle de la RDC.

Introduction : une réponse à un ami et un collègue sur une question au cœur de la « re-création » de l’Etat congolais

Nous venions de lire une réflexion très intéressante de Joël Baraka Akilimali sur la question électorale en République démocratique du Congo (RDC) diffusée par Angaza Institute. La réflexion de Baraka auquel nous répondons s’intitule : « Ingénierie électorale et choix politiques en RDC : plaidoyer pour la dissolution de la CENI et le renforcement institutionnel du Ministère de l’Intérieur et du pouvoir judiciaire »[1]. Point n’est besoin de rappeler la place qu’occupe actuellement les questions électorales dans le débat politique et scientifique en RDC[2]. Au regard de la pertinence de la réflexion de Baraka, nous avons résolu de tremper ma plume et réagir à cette réflexion lancée par ce collègue chercheur et ami de longue date. Il s’agit, comme d’un échange au café du coin ou sous l’arbre du village, d’un échange amical. D’où l’usage de son prénom. Mon propos pourrait choquer certaines sensibilités qui s’abreuvent du « politiquement correct ». Mon opinion pourrait aussi choquer ceux qui, dans un déni de la réalité, se comportent comme l’autruche. Nous sommes fondamentalement convaincu que mal nommer les choses, comme disait Albert Camus, c’est ajouter au malheur du monde. Pour sortir de ce marasme, les congolais doivent mettre le curseur sur les vrais problèmes et débattre sans passion en vue de poser les jalons de la reconstruction du pays.

La thèse de Baraka : Supprimer la CENI dans l’intérêt de la construction de l’Etat à travers le renforcement de l’administration par le bas

Baraka ouvre sa réflexion en situant la CENI dans la lignée des réformes politiques inaugurées en Afrique au début des années 1990 sur fond d’idées néo-libérales. Il situe l’institution de la CENI dans sa temporalité et la qualifie d’une « solution provisoire post-conflit » qui tente de devenir définitive. Ensuite, il aborde la « politisation structurelle de la CENI » qu’il qualifie d’ « antinomique » avec les idées de démocratie, contrastant avec sa définition même au regard de la Constitution, une institution d’appui à la démocratie. Peut-on appuyer une réalité inexistante ? On y reviendra. Ensuite, Baraka démontre la promotion d’une « fragilisation de la puissance publique » et de l’« émiettement quasi-privatif du service public » par la CENI. Le caractère « budgétivore congénitale » de la CENI, la « centralisation du processus électoral » et la « déconnexion des besoins publics locaux » ne sont pas écartés de l’analyse. Pour répondre à ces défis que nous pouvons qualifier de « malformations congénitales de la CENI », Baraka propose une réforme générale du processus électoral. Cette réforme doit, selon lui, passer par la dissolution de la CENI, le renforcement institutionnel du Ministère de l’Intérieur (qui devra désormais organiser les élections en s’appuyant sur l’administration locale) et une justice indépendante, garante de la transparence du processus électoral. Plus précisément, Baraka résume sa réflexion en ces termes :

« Le présent plaidoyer pour des réformes électorales est donc opportun afin qu’un pays au budget faible tel que la RDC et au sentiment national en pleine consolidation ne se voit pas disloqué par une Commission électorale centraliste et dont le risque de la politisation reste grand par sa configuration antinomique. Celle-ci, dans le contexte particulier du Congo, présente un haut risque de mise en péril du devenir politique de cet Etat fragile ayant plus besoin de se reconstruire du plus bas niveau vers le haut niveau notamment par l’édification et la responsabilisation de l’administration publique placée au cœur du processus électoral et par conséquent au cœur de la refondation de l’Etat. Penser des réformes intelligibles, efficientes, pragmatiques et ambitieuses à la mesure des réalités sociopolitiques et budgétaires est plus qu’urgent. Pour ce faire, la piste prioritaire sera de dissoudre l’actuelle CENI afin de renforcer le Ministère de l’intérieur et le Pouvoir judiciaire à différentes échelles d’implication électorale ».

Je partage la position de Baraka plaidant pour la suppression de la CENI ainsi que les raisons qui la sous-tendent. Je partage aussi l’idée d’un contentieux électoral par le bas. Pourquoi faire de la Cour constitutionnelle le juge du contentieux électoral (contentieux de candidature et des résultats) pour les législatives nationales et sénatoriales pour un pays aux dimensions continentales comme le Congo ? Quel est l’intérêt d’éloigner ce contentieux des électeurs ? Le rapprochement du contentieux électoral des électeurs ne renforce-t-il pas la transparence du processus ?  Plusieurs pistes de réflexion peuvent être ouvertes pour réformer le système électoral congolais. Toutefois, il y a des préalables sans lesquels il est illusoire de débattre sur un processus électoral : l’existence d’un Etat de droit démocratique.

MAIS…peut-t-on envisager un processus électoral crédible dans une quasi-existence de l’Etat ?

En entame de cette réflexion, j’ai annoncé soutenir la thèse démontrée par Baraka avec une réserve non-moins inportante. Cette réserve résulte du climat politique de la RDC et de la quasi-existence de l’Etat. Les violations multiples de la Constitution et des lois par ceux qui sont censé les protéger et les faire appliquer sont quasi-endémiques en RDC. On a parfois comme l’impression que les « décideurs politiques », les officiers de l’« armée » et de « la police » rivalisent sur le terrain des violations des lois. Dans ce contexte, le juge – souvent au service du régime ou du lucre – tend à tordre la règle de droit avec parfois avec un mépris abasourdissant et déconcertant envers les sciences juridiques. Dans ce contexte, résoudre la quadrature du cercle ne semble-t-il pas plus facile que prouver l’existence du Congo en même temps comme une République et une démocratie ?  Depuis l’indépendance, plusieurs choses ont changé en RDC sauf la patrimonialisation de l’Etat et la personnification du pouvoir, réalités qui ont résisté à l’usure du temps.

Si la dictature est le trait qui caractérise tous les régimes qui se sont succédé en RDC depuis la « neutralisation » de Lumumba et de son gouvernement suivi de son assassinat, l’obsession de « posséder le Congo » ne peut qu’en être l’illustration parfaite. L’observation de l’agir des dirigeants congolais d’hier et d’aujourd’hui, à l’exception de Lumumba, poussent à considérer qu’ils ne sont mus que par une seule obsession : posséder le Congo. Il s’agit ici d’une possession au sens du droit romain (possidere) ; une possession qu’on peut transférer ou aliéner par simple traditio (mode de transfert de la propriété consistant dans la remise de la chose effectuée avec la volonté d’aliéner dans le chef de l’aliénateur et d’acquérir dans le chef de l’acquéreur) ; une possession qu’on peut léguer, donner, concéder, bref, une propriété au sens du droit civil avec tous les attributs y rattachés. Le Congo – avec sa dimension continentale (plus de 4 fois la France et l’Allemagne réunies) – a d’abord été – avec terres, hommes, animaux, arbres, air, lacs et rivières, poissons et oiseaux – une propriété privée du roi des belges Léopold II (1885-1908), une partie de son patrimoine, avant de la céder, comme tout autre bien, à la Belgique en 1908. A partir de l’assassinat de Lumumba, les régimes qui se sont succédé à la tête de la RDC se comportent comme des proconsuls ou mieux des préfets des intérêts des oligarchies occidentales faisant primer les intérêts étrangers sur ceux des congolais. Ceci s’explique par le fait que depuis les indépendances, l’accès et la conservation du pouvoir en RDC, comme dans plusieurs pays d’Afrique, dépend plus d’impératifs étrangers que de la volonté du peuple. Dans cette configuration, l’appartenance de la souveraineté nationale au peuple (article 5 de la Constitution) devient illusoire, les élections, une mise en scène.

Peut-t-on confier à l’administration l’organisation des élections dans un Etat corrompu ?

A l’heure du néo-colonialisme, les « dirigeants » des « Etats soumis » se font « élire » sur coup de corruption avec le soutien des oligarchies occidentales ou orientales. En RDC, la corruption est devenue endémique et touche tous les pans de la vie sociale, économique et politique. Le Rapport (2019) de l’ONG Transparency International sur les niveaux de perception de la corruption du secteur public a classé la RDC parmi les pays fortement corrompu. Sur ce classement, la RDC a occupé la 165ème place sur 180 pays et territoires étudiés. L’avènement au pouvoir de Félix Tshisekedi a suscité beaucoup d’espoir chez certains congolais. La déception n’a pas trainé. En dix-huit mois au pouvoir, les scandales financiers, les détournements et le saignement du Trésor ne se sont jamais mieux porté.  Le programme dit de 100 jours qu’il a initié dès sa prise du pouvoir en janvier 2019 (plus de 400 millions de dollars états-uniens) n’a été qu’une vaste opération d’enrichissement. La « condamnation-règlement » de son désormais ex-Directeur de Cabinet, Vital Kamerhe, à 20 ans de prison pour détournement des deniers publics et corruption en juin dernier à l’occasion d’un procès médiatisé aux contours très controversés n’est que la partie visible de l’iceberg de la gabegie financière qui caractérise le régime de Félix Tshisekedi. Les faits laissent croire que ce programme avait été savamment concocté pour griller tous les « feux rouges constitutionnels et légaux » par Félix Tshisekedi. Le programme ne porte-t-il pas son nom ?[3] Tout cela intervient alors que la population congolaise croupit dans une extrême pauvreté. Selon le PNUD, environ 80% de la population congolais vit sous le seuil de la pauvreté (environ 1.90 dollars états-uniens). Jean-François Bayart n’est pas sûr de si bien dire lorsqu’il parle d’Etat néo-patrimonial.

Nous devons rappeler que les régimes qui se sont succédé depuis le 14 septembre 1960 n’ont pas seulement vidé les caisses de l’Etat. Ils ont tout mis en place pour « personnaliser l’administration » (ou ce qui en reste). Il s’est créé, d’une part, une oligarchie administrative compradore constituée grâce à l’activité politique et administrative tel que décrite par Mustapha Benchenane.  D’autre part, existe une administration qui présente tous les signes de l’« antisocial » et qui n’obéit qu’au petit billet ou à des liens souvent tribalo-ethniques et autres faveurs charnelles. La réforme de l’administration publique et son rajeunissement annoncés en 2002 sont toujours attendus. La création de l’École nationale d’Administration (ENA) ou les réformes accompagnées par la Banque mondiale ne peuvent pas, à eux, seuls résoudre les maux qui gangrènent l’administration publique congolaise. Lorsqu’on aperçoit des élèves de l’ENA, dont l’école a été créée à l’image de l’ENA française, camper pendant des jours et nuits devant le Ministère de la fonction publique pour réclamer des arriérés de plus de cinq mois (alors que la grande majorité d’entre eux vient des provinces autre que Kinshasa), on comprend le sens de la « réforme » au cœur de la création de cette école. Il est clair que la volonté politique n’est pas au rendez-vous. Ainsi, nous nous retrouvons avec une administration territoriale « tribalo-ethnicisée », politisée, sclérosée, fragilisée, clochardisée, paupérisée et, dans plusieurs coins du pays, inexistante. Depuis 2006 (adoption de la Constitution de la 3ème République), les élections locales, municipales et urbaines se font attendre. Le régime de Joseph Kabila n’a pas organisé ces élections en 2006, 2011 et en 2018. Pourtant, elles sont censées mettre en œuvre la décentralisation prévue dans la Constitution. L’organisation des élections locales ne semble pas inscrite parmi les « priorités » du régime actuel non plus. On peut en supposer facilement la raison : garder le contrôle sur l’administration territoriale. Dans un tel contexte, peut-on envisager le transfert de compétences de la CENI vers l’administration publique ? Agir ainsi, n’est-ce pas déshabiller Saint Paul pour habiller Barabas ?

Refonder la RDC sur base d’un « contrat social congolais » 

« Qu’est-ce que vous proposez alors » ? Cette question erre presque sur les bouches de tous congolais chaque fois que l’on tente d’exprimer une opinion contraire. Le préalable que je soulève avant d’envisager un processus électoral crédible en RDC risque même de m’attirer la foudre des uns si pas de tous ceux qui ont une vision simplifiée des questions électorales en RDC et qui voient en la CENI la bête noire à jeter dans « les feux dévorants » (je dois préciser que je réagis  contre une certaine opinion et non contre mon ami Baraka dont je n’ignore pas la clairvoyance sur ces questions) et en Ronsard Malonda une « persona non grata » au lieu d’avoir une vision systémique des réalités politiques congolaises et de comprendre en réalité que la RDC est en guerre depuis plusieurs décennies. Dans la guerre menée contre congolaises et congolais par des puissances connues via leurs proxies sous-régionaux, la CENI ne devient qu’une arme parmi tant d’autres. A côté de la violence utilisée pour éliminer le congolais, du viol pour terroriser et traumatiser, de la misère pour avilir, les élections tentent de berner le peuple qui se croit souverain et maître de son destin. Dans cette guerre, Ronsard Malonda, l’Abbé catholique Apollinaire Malumalu(+) (Premier Président de la CEI/CENI lors des élections de 2006 puis entre 2013 et 2015), le Pasteur protestant Daniel Ngoyi Mulunda (Président de la CENI lors des élections de 2011) ou encore Corneille Nangaa ne sont que des lieutenants du système mafieux qui a pris le Congo en otage depuis quelques décennies. Faire une fixation sur Ronsard Malonda c’est comme prétendre lutter la consommation de l’opium en attaquant le petit dealer sans bruler les plantations de pavots ! Peu importe la personne du Président de la CENI, le système de prédation au sommet du Congo ne manque pas d’astuces soit pour « acheter » même les âmes les plus insoupçonnées, soit pour les écarter ou encore les mettre « hors circuit ». Dans la guerre qui est menée au Congo, les ennemis des congolaises et des congolais ne lésinent pas sur les moyens.

Re-inventer le Congo. Mais comment ? A mon avis, il appartient aux congolais de mettre en place une véritable « République » (au sens aristotélicien), c’est-à-dire, une forme de gouvernement dans lequel le pouvoir n’est la propriété de personne, un gouvernement de tous pour le bien commun. Re-inventer le Congo c’est faire de chaque millimètre carré du Congo, millilitre d’eau, milligramme de minerais, de chaque poisson, arbre, millilitre d’air, de chaque milliwatt du barrage d’Inga, de celui de la Ruzizi ou de Force Bendera, de chaque rayon de soleil…du Congo et tout ce qui le compose, une « chose publique », une res publica. Il faut, pour ce faire, lutter contre l’émergence, le règne des rationalités égoïstes et la configuration des rationalités minoritaires (rationalités des minorités) qui fragilisent l’esprit d’unité et d’identité nationale vouant aux gémonies l’idéal républicain, gage de stabilité sociopolitique (Mahini et Daouda, 2019).

La re-invention du Congo, à mon sens, est un préalable pour tout débat sur l’Etat, la démocratie, les élections, la justice, le développement etc. Si les congolais se sont retrouvés « unis » à travers le patrimoine de Léopold II (1885-1908) et, ensuite, cédés – avec leur territoire – (au sens du droit civil) à la Belgique, le destin commun des congolais a toujours été décidé sans eux.  Le contexte de l’adoption de la Constitution actuelle taillée sur mesure par les belligérants à Sun-City et dans la Constituante avec la bénédiction des puissances ne saurait être considéré comme un vrai contrat social congolais même si certains tentent de l’affirmer. L’absence d’un véritable débat lors du référendum de 2005 a été une occasion manquée par un peuple qui voulait en finir, enfin, avec les instabilités politiques récurrentes.  Ainsi, en appelons-nous à un véritable débat national sur le Congo qui posera les grandes lignes du « contrat social congolais ». Il s’agit de l’acceptation de notre destin commun comme peuple lequel s’est forgé pendant 80 ans de terreur coloniale. Ce « contrat social congolais » doit aussi puiser ses racines dans la douleur de la perte, les privations et les humiliations collectives qui caractérisent le Congo depuis son indépendance.

Ce contrat social ne peut se réaliser toutefois que si les congolais décident de travailler dans l’unité. A l’heure où le Congo fait face, à l’externe, à des violations récurrentes de son intégrité territoriale par sept de ses neuf voisins et, à l’interne, des fissures sociales très inquiétantes, le retour des discours et divisions tribalo-ethniques et même sécessionnistes prétendument fondées sur l’inéquitable redistribution des ressources nationales entre le pouvoir central et les provinces etc., le contrat social congolais est plus qu’urgent. Dans cette quête, nous devions garder en mémoire cet autre extrait du discours prononcé par Lumumba le 30 juin 1960 : « Je vous demande à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger ».

Le système électoral actuel fragilise la cohésion nationale

La désignation controversée de Ronsard Malonda comme Président de la CENI a été faite par les confessions religieuses. Surprenante qu’elle soit, l’intervention des confessions religieuses est légale sur cette question. Pourtant, le tout premier article de la Constitution congolaise consacre le caractère laïc de l’Etat. Si l’on craignait, hier, la politisation de la CENI, la désignation de Malonda prouve que la CENI peut aussi être prise en otage par les confessions religieuses. Les attaques entre fidèles catholiques hostiles à Malonda (pourtant candidat de la composante église catholique) et les kimbanguistes, d’une part, et les autres confessions protestantes d’autre part (jugées pro-Malonda), prouvent qu’associer ces confessions religieuses en cette matière très sensible peut déboucher sur des tensions entre fidèles et, au pire, une guerre des religions. Lorsqu’on considère que presque toutes les confessions religieuses actives en RDC dépendent d’autres puissances (cas de l’église catholique et anglicane par exemple) et entités étrangères (les musulmans, les pentecôtistes etc.), il n’est pas exclu que ces puissances et entités étrangères puissent influencer le processus électoral à travers les confessions religieuses. N’est-ce pas l’occasion de re-penser le rôle des confessions religieuses dans la vie politique, sociale, économique…bref dans la société congolaise ?

Dans la cadre de la re-invention de l’Etat congolais, n’est-ce pas une opportunité de penser un système électoral moins coûteux, plus proche de nos réalités socio-politiques et offrant plus de légitimité aux élus sans alimenter les replis identitaires tant décriés ? 60 ans après l’indépendance, le peuple congolais doit, comme l’indique Emmanuel Kant parlant des « lumières », prendre son destin en main, se conduire en majeurs et non en éternels mineurs qui auraient besoin d’un guide. Baraka décrie le modèle néo-libéral qui sous-tend le système électoral de la CENI. Il s’agit du même modèle qui a poussé les pays du Sud vers les années 80-90 à adopter des politiques d’ajustement structurels aux conséquences socio-économiques déplorables.

Pour conclure

Je présume l’accord de mon ami Joël Baraka sur cette idée, lui qui, comme moi, ne se soumet à aucune censure qu’elle vienne du trône ou de l’autel. Je me réjouis, comme toujours s’agissant de Baraka, de voir émerger une jeunesse congolaise qui s’engage sur la voie du « sapere aude » malgré le péril que cela représente. La société congolaise actuelle aspire à plus de liberté et de bien-être. On la trouve – cela se comprend – généralement très hostile à toute réflexion qu’elle juge « théorique » ou « abstraite ». La théorie et l’abstraction sont devenues presqu’essentiellement péjoratives dans la société congolaise ! Pour re-inventer le Congo, le congolais veulent une adresse, des dates, des précisions ou, pire, attendent des miracles, une eschatologie. Ceci aboutit à des réflexions superficielles, des raccourcis et des généralisations en lieu et place d’un déploiement des ailes de la pensée. Voilà le piège que les intellectuels congolais ou ceux qui y aspirent devraient éviter. Nombreux se sont laissés prendre au piège. En France pendant les manifestations et la grève générales et sauvages de Mai 1968, on pouvait lire sur une banderole (c’est devenu depuis le symbole de cette résistance sociale) ; « Soyez réalistes, demander l’impossible ». Oui, les congolaises et les congolais doivent demander l’impossible, ils doivent être intransigeants. Aucune concession ne devrait être faite face aux « forces du mal », internes et externes, qui minent tout décollage du Congo peu importe le prix, la durée et le sacrifice.

[1]La réflexion de Joel Baraka peut être retrouvé sur le site de Angaza Institute en suivant ce lien sur https://angazainstitute.ac.cd/ingenierie-electorale-et-choix-politiques-en-rdc-plaidoyer-pour-la-dissolution-de-la-ceni-et-le-renforcement-institutionnel-du-ministere-de-linterieur-et-du-pouvoir-judiciaire/

[2] RFI titrait au 20 juillet 2020 : « Nomination polémique de Ronsard Malonda à la CENI: l’Assemblée répond à Tshisekedi ». Cet article de RFI reprend les grands moments des tensions politiques en cours en RD Congo autour de cette question 

[3]A ce sujet, voy. notre blog du 3 mars 2020 « Programme des 100 jours : un long chapelet de violations de la loi ? »

Les propos tenus par l’auteur dans cette publication n’engagent pas Angaza Institute, les unités de recherches et les institutions auxquelles il est attaché.

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Publiée le : 5 août 2020