(De) masqué : ruse, résilience et résistance – la controverse d’une mesure COVID-19
Depuis Février 2020, le monde est confronté au coronavirus (COVID-19) dont les premiers cas s’étaient déclarés dans la ville de Wuhan en Chine en novembre 2019. L’avènement de la COVID-19, sa propagation et le nombre croissant des morts (à ce jour + 500.000 décès et + de 12 millions de cas confirmés dans le monde) a amené les autorités politiques et sanitaires à édicter des mesures pour prévenir et limiter sa propagation. Parmi ces mesures figure le port du masque ou cache-nez selon les appellations.
Le masque ou cache-nez est un dispositif de protection respiratoire. Couramment, il est fait en tissu et en laine ou en d’autres substances filtrantes comme le plastique, le verre, la cellulose, et des combinaisons de deux ou plusieurs de ces matériaux. Il sert à cacher la bouche et le nez afin d’éviter la transmission ou la réception des liquides issus de l’activité de la bouche et du nez : salive, gouttelettes issues de la toux… On distingue en général les masques chirurgicaux et les masques de protection respiratoires. Il y en a des simples et de plus complexes. Mais quel que soit leur type, ces masques répondent tous à un même objectif : éviter la transmission ou la propagation de maladie à coronavirus ; en d’autres termes éviter de contaminer ou d’être contaminé par l’autre. Depuis que le masque est devenu une des mesures contre la propagation de la COVID-19, les débats quant à son efficacité, son opportunité et parfois sa dangerosité n’ont cessé de pulluler dans l’opinion publique. Au début, seul le personnel médical et les personnes malades ou présentant des symptômes étaient appelés à le porter. Pourtant, les statistiques de la propagation ne faisaient que galoper à travers le monde, malgré le respect de cette recommandation. Ainsi, le débat a beaucoup évolué au fil des incertitudes des scientifiques et politiques à préciser réellement comment se transmet le coronavirus. Faire du port de masque une injonction suivie des menaces de sanctions aux contrevenants plutôt qu’une recommandation est devenu la meilleure et dernière option des États. Les observations empiriques montrent que la question du port de masque – en tant que mesure de prévention contre la COVID-19 – oscille entre ruse, résilience et résistance.
D’une mesure ciblée à la généralisation : le masque pour tous
Il n’a jamais été question du port de masque pour tout le monde au début de l’apparition du COVID-19. Que ce soit l’OMS ou les États, la mesure concernait presqu’exclusivement des catégories de personnes à risque et celles susceptibles de contaminer d’autres. Porter impérativement le masque par le personnel médical et les malades participait à la réduction de la propagation du virus et du nombre de personnes contaminées. Entretemps, c’est le respect généralisé d’autres mesures sanitaires et de distanciation sociale qui consacre l’efficacité du port de masque (par le personnel médical et les malades) et traduit la solidarité sociétale. La généralisation du port du masque procède de plusieurs raisons : la difficulté de savoir qui est contaminé et qui ne l’est pas, l’existence des personnes asymptomatiques, la faible maitrise du temps qui passe entre la contamination et la manifestation des symptômes (14 jours), la faible maitrise des contacts des personnes testées positives… Les spécialistes disent que le port du masque entre deux personnes distantes d’un mètre réduit à plus 90% la contamination mutuelle, y compris lorsque l’une d’entre elles est déjà malade de COVID-19. La protection serait de plus de de 80% lorsque le malade porte un masque chirurgical face à une personne qui ne porte aucun masque ; de plus de 95% lorsqu’une personne saine porte un masque FFP2 (masque filtrant) destiné à protéger le porteur contre les risques d’inhalation d’agents infectieux transmissibles par voie aérienne.
En pleine « guerre froide économique » entre la Chine et les Etats-Unis d’Amérique, le mercantilisme capitaliste s’en est mêlé. Il est survenu un débat sur la qualité des masques dont la grande partie était produite par la Chine. Suite à l’incapacité technique de l’industrie mondiale d’en produire en quantité suffisante dans un bref délai, l’Afrique a opté pour la démocratisation et « la localisation » de leur production. Ces tergiversations ont suscité de suspicions et des doutes qui ont contribué au rejet du port de masques importés. En Afrique par exemple, la Tanzanie, le Burundi, le Kenya entre-autre ont appelé leurs populations à se méfier des masques importés et d’en produire eux-mêmes. Le Président Tanzanien est allé jusqu’à considérer la pandémie comme une guerre géostratégique qui exige une grande vigilance de la part des pays africains. Produire les masques localement est considéré comme un premier effort de résistance dans cette guerre économique et géostratégique.
Le masque africain : une posture décoloniale et contre-hégémonique
Nonobstant la tournure insaisissable qu’avait pris la pandémie en Occident et en Orient, les Africains ont été proactifs et assez réactifs pour limiter la propagation de la pandémie sur le Continent. Pendant que la fabrication et la fourniture en masques créaient une crise de plus en plus croissante en Occident, des ateliers de couture s’activèrent de par l’Afrique pour fabriquer localement des masques réutilisables.
Ces initiatives proposent des masques sur base d’une diversité de tissus localement disponibles et vendus à un prix abordable (entre 1000 et 500 Francs congolais). L’on voit se développer plusieurs types de masques « faits-maison », de simples aux complexes. Certains ont tenté de décrédibiliser ces masques considérant qu’ils n’étaient pas efficaces pour répondre à la crise et arrêter la contamination. Mais leurs efforts ont été sans effets. Ni l’industrie capitaliste ni l’OMS n’ont réussi à décourager les initiatives locales. Au contraire des agences comme l’UNICEF ont appuyé la production locale des masques par les ateliers de couture afin de les distribuer aux écoles. Un des facteurs qui aura permis la popularité des masques produits localement, c’est le débat sur une possible contamination des masques importés ainsi que des tests de la COVID-19. Les réseaux sociaux ont relayé des informations s’inscrivant dans une sorte de théorie du complot. Au rejet du projet de vaccination (soupçonné de vouloir réduire la population africaine) s’en est suivi le rejet des masques soupçonnés d’être déjà contaminé pour exposer les populations africaines. Par le fait que ces messages furent relayés par des personnalités respectées et hautement placées dans les sphères socio-politiques, elles n’ont plus fait l’ombre d’aucun doute. La prise en charge par les africains de la production locale des masques procède de l’expression de la démonstration de leur autonomie et la contestation d’une prétendue hégémonie économique et culturelle de l’Occident et de la Chine sur l’Afrique. Il est erroné de réduire cette réaction à l’appropriation par les Africains de l’idéologie complotiste autour du coronavirus.
Bukavu : masque comme laisser-passer et enjeu de violence policière
Dans la ville de Bukavu, 70% de personnes ont porté le masque dans la semaine, du 13 au 19 avril, au cours de laquelle le gouverneur de province le rendit obligatoire et promit des amendes et sanctions. A mesure que les jours passaient et que la police se lassait, le port du masque a changé de raison. En général à Bukavu, et partout ailleurs en RDC, ce n’est pas contre la COVID-19 que les gens portent les masques mais contre la police. Il suffit de l’avoir attaché sur son cou ou à un autre endroit visible par les agents de l’ordre et pas nécessairement sur la bouche ou le nez pour dissuader la police et se mettre à l’abri des tracasseries.
Certaines personnes sont mêmes plus créatives, tantôt pour se moquer de la police tantôt parce qu’ils n’ont pas les moyens suffisants pour se procurer le masque. Pour la plupart des congolais, il suffit de montrer qu’on se couvre le nez et la bouche, peu importe avec quoi et si cela protège contre quelque chose ou pas. L’essentiel c’est de se couvrir et vaquer à ses occupations.
Au-delà d’une perception caricaturale, le comportement résistant de la population vis-à-vis du masque traduit une transgression volontaire des normes et injonctions étatiques et internationales. Mais à vrai dire, cela s’apparente à l’expression pure et simple de la délégitimation et de la contestation de l’autorité publique que la population accuse de ne pas répondre à ses véritables besoins. D’ailleurs le Gouverneur de Province du Sud-Kivu l’avait compris, au point de s’exprimer, sous un ton fâché et émotionnel, que « tout le monde est devenu connaisseur à Bukavu », regrettant que ses administrés fassent confiance aux réseaux sociaux plutôt qu’au gouvernement provincial.
Le masque est incontestablement un outil important de protection contre le coronavirus. Bien qu’il varie selon les types, le porter est impératif, non pas comme une réponse à une injonction étatique, mais comme une marque de protection pour soi et pour les autres. C’est aussi un signe de solidarité dans la mesure où il traduit une implication personnelle à la lutte contre la propagation du coronavirus. A côté de la distanciation sociale, le port des masques et le lavage des mains sont des pratiques efficaces qui nécessitent d’être respectées. En faire une opportunité de rançonnement et de violence étatique peut être plus contreproductif dans le processus de réduction de la propagation de la pandémie. C’est-à-dire, au lieu qu’il soit porté de façon consciente comme un signe de reconnaissance du rôle qu’il joue, les gens risquent de le porter pour échapper à une police ou à un État dont ils se méfient. Autant nous recommandons à la population de ne pas relativiser le port de ces masques, autant nous sommes pour un gouvernement responsable, qui va au-delà des discours et qui ne se contente pas de la quantité d’éléments de police qu’il est capable de déployer pour « discipliner » les « anormaux ».
L’Etat doit investir dans l’approche sociologique de la pandémie pour comprendre les perceptions, positions, intérêts et besoins des citoyens. Il doit investir dans la sensibilisation, à travers une communication claire tout en se mettant à l’écoute de la population. Il doit appuyer les initiatives de production locales des masques mais surtout, il doit se rappeler que c’est en coopérant et en solidarisant avec son peuple, avec les forces politiques et sociales qu’il peut arrêter la propagation du coronavirus.
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